Les marchands Vénitiens

Les empereurs byzantins, suivant en cela la coutume romaine, considéraient que le commerce devait être laissé aux plébéiens

MarchandsveniseEux, les nobles, se contentaient de prélever des impôts et des taxes sur le commerce.

Cette vision des choses n’était pas partagée par le Doge de Venise et cela dès le début du duché. En effet on peut lire dans le testament du Doge Giustiniano Partecipazio, en 829, qu’il lègue entre autres, à ses descendants, 1200 livres d’argent pour autant « qu’elles reviennent saines et sauves du voyage en mer ». On le voit, lui n’avait aucun scrupule à commercer.

C’est cette différente approche du commerce qui permit d’une part de développer une ville indépendante et puissante et de l’autre un empire dépendant du commerce que d’autres exerçaient.

Dans un premier temps Venise vendait du sel et du verre. Elle l’envoyait au loin par la mer mais aussi par le Po et ses affluents qui étaient parcourus par des chalands.

Plus tard elle s’occupa de lainage, de bois venant des forêts de Haute Vénétie par flottaison, de fer et de l’argent provenant des mines de Styrie et de Carinthie. Ces produits, après avoir été travaillés, prenaient ensuite la route de Byzance et des pays musulmans.

Dans le sens inverse, Venise recevait d’Orient des épices, mets très recherché, de l’encens, des parfums, ainsi que la soie. Ces produits venaient de Chine par les routes de la Soie et de l’Encens, routes contrôlées par les Byzantins et les Arabes. D’Afrique du Nord venaient l’or, le vin et l’huile d’olive.

Au Nord de l’Europe, en Angleterre ou en Flandres, Venise exportait du coton. Elle en ramenait des tissus de basse qua- lité qu’elle retravaillait et affinait. Et puis il yCarte routes venise avait également un commerce des plus florissants qui se faisait sur tout le pourtour de la Méditerranée : le commerce d’esclaves. L’Eglise se contentait à l’époque de désapprouver la vente d’esclaves chrétiens aux musulmans. Ce commerce débuta très tôt. Vers l’an 800 il était aux mains des Juifs qui avaient installé un de leur plus grand centre à Verdun. Par la suite les Vénitiens se l’approprièrent. Ils fournissaient notamment en eunuques les harems des émirs musulmans.

Venise importait ses esclaves, après la 4ème croisade, d’Azov. Elle les vendait au Musulmans mais aussi aux Vénitiens qui les utilisaient pour cultiver leurs terres dans les colonies comme sur la terre ferme dans l’arrière pays vénitien ainsi que comme domestiques dans les villes.

D’Azov venait aussi le chanvre qui servait à fabriquer les cordes des navires. Auparavant cette matière venait de la plaine du Po.

Peu à peu on vit se développer l’artisanat d’art et des produits de luxe. Des bijoux ou autres œuvres d’art (tableaux, horloges, statues) furent livrés aux rois musulmans.

On vit également se développer une industrie de transport pour toutes les personnes, pèlerins ou marchands qui voulaient aller vers le Sud ou en Orient.

Tout ce commerce générait une incessante activité financière. Il semble qu’une grande partie de la population, au moins jusqu’au milieu du XVIème, ait participé financièrement aux risques du trafic maritime, souvent, pour les moins nantis, avec des sommes modiques.

La pièce d’or vénitienne, ducat d’or ou sequin, ne fut frappée qu’assez tardivement, à savoir en 1284.

Pièce orPuis, vers le XVIème siècle, Venise sut proposer d’autres centres d’intérêts : la prostitution et tous les plaisirs attenants, comme le jeu. On imprimait des catalogues qui donnaient les caractéristiques des dames, leurs adresses et le prix de leurs prestations.

Concernant le jeu, Venise ouvrit un casino d’Etat dans les bâtiments de Marco Dandolo. Il ne fut fermé qu’en 1774.

Les voies commerciales

Venise était un noeud commercial. Du Nord les marchandises parvenaient à Venise par les cols alpins puis par les cours d’eau. De Cracovie, Breslau et Vienne on passait par les cols du Frioul. De l’Allemagne on passait par le col du Brenner ou du Septimer.

Sur mer la République organisait au cours de l’année des convois de 4 voire 8 à 10 navires commerciaux accompagnés de navires de guerre pour les protéger : les Mudes. Ces convois étaient guidés par des commandants de la République dont ils représentaient officiellement les intérêts dans les ports orientaux. Ces Mudes se développèrent au XIIIème siècle, connurent leur apogée au XVème et disparurent dans la première moitié du XVIème.

 

La République mettait en locations aux enchères les bateaux (des galères à rames et à voiles) pour le voyage. Ceux qui les emportaient étaient soumis à toutes sortes de règlements stricts dont l’observance était assurée par des agents du gouvernement. De plus ils étaient tenus de participer aux voyages en personne et avaient la responsabilité de recruter les équipages.

Ainsi il y avait des Mude qui partaient vers :

  • La Mude de Syrie en passant par Chypre et Beyrouth, destinées avant tout au commerce du coton. 
  • La Mude d’Egypte en passant par Beyrouth 
  • La Mude de la Tana (Azov) sur la mer Noire et de Roumanie, en passant par Constantinople.

  • La Mude del Trafegoqui allait en Tunisie en passant par Alexandrie en Egypte

  • La Mude de Barbarie qui desservait l’Afrique du Nord et le Sud de l’Espagne

  • La Mude d’Aigues Mortes qui passait également par Marseille et descendait jusqu’à Barcelone 
  • La Mude des Flandres qui atteignait Bruges, Londres et Southampton

Les marchands se mettaient souvent à plusieurs pour miser sur un bateau. Ils faisaient généralement un bénéfice de 20 à 30% à l’aller comme au retour...pour autant qu’il n’y ait pas d’incident (naufrage, attaque de pirates, etc..).

En dehors des Mudes, les marchands étaient libres de commercer pour leur propre compte, sur des bateaux privés, sans accompagnements militaires. Ce commerce était basé sur le transport de matières moins précieuses. Les itinéraires n’étaient pas stricts comme ceux imposés aux Mudes. Ils allaient où ils voulaient, à leur risque et péril.

Si les premiers bateaux étaient d’un tonnage modeste (90 tonneaux), ils prirent par la suite des volumes nettement plus imposants (jusqu’à 300 tonneaux) Pour rappel la Santa Maria de Christoph Colon en jaugeait 100 et le Mayflower 180).

Dans les ports il y avait souvent des colonies de vénitien qui assuraient la réception, l’achat et la diffusion des produits. À partir des ports partaient des voies terrestres parcourues par des caravanes de marchands vénitiens vers la Perse, l’Inde, l’Afghanistan ou la Chine.

Carte jauneQuelques Vénitiens sont restés célèbres : Marco Polo qui resta éloigné de Venise du- rant 25 ans au XIIIe ; le missionnaire Odorico de Pordenone raconte en 1325 qu’un grand nombre de Vénitiens vivaient à Canton à cette époque ; d’autres récits anonymes font état de voyageurs vénitiens ayant atteint le Japon quant aux frères Zeno, on prétend qu’ils découvrirent les îles Feroe et atteignirent le Groenland. Cela reste toutefois une hypothèse.

La lente décadence du commerce vénitien

Après la découverte du passage du Cap de Bonne espérance par le Portugais Vasco de Gama, la route des épices s’en trouva raccourcie. Cela ne suffit pas à interrompre le commerce des épices vénitiens qui s’approvisionnaient toujours en Egypte. En fait ce fut bien plus tard, le développement par les Hollandais des grandes Compagnies des Indes orientales, au XVIIème siècle, qui mit fin à ce juteux commerce.

Mais en 1499, au retour des vaisseaux de Vasco de Gama, chargés d’épices, le roi du Portugal invita les Vénitiens à venir s’approvisionner en épices à Lisbonne plutôt qu’à Alexandrie. Venise refusa car elle n’aurait pas eu le monopole de ce commerce. Il y avait là peut-être une occasion de rester mieux implantée dans ce commerce.

Entre 1581 et 1585, Philippe II s’est rendu maître du Portugal. Il offre à Venise pratiquement l’exclusivité de la distribution des grandes quantités d’épices qu’il importe. Venise là encore refuse. Elle manque de navires, d’amateurs et surtout, pour aller en Espagne elle doit traverser la Méditerranée infestée de pirates et de corsaires, ennemis du roi Philippe II.

Ces deux refus ont probablement été sages. A posteriori on voit que les banquiers allemands qui ont investi dans ces affaires n’ont pas fait des rendements importants ne serait-ce que du fait que l’Espagne a perdu l’Invincible armada et que le commerce avec les Espagnols en Méditerranée était devenu périlleux.

Finalement c’est la guerre de course, c’est-à-dire les attaques des corsaires de tous ordres, indépendants, Maghrébins sur ordre du Sultan, Espagnols ou Uscoques à la solde de l’Autriche, qui va porter un coup fatal au commerce maritime vénitien. Ces attaques avaient pour but de capturer les navires, les marchandises mais aussi les hommes (ou femmes) qui étaient réduits en esclavage sur les galères. Des congrégations comme celles des Chevaliers de St Etienne, des Mercedari ou de la Très Sainte Trinité, se vouèrent au rachat de ces malheureux.

Les possessions des Vénitiens en mer Egée sont la cible des corsaires algériens et sont dévastées. Elles doivent être abandonnées.

La dernière campagne vénitienne en Afrique du Nord a lieu en 1784-1786

Le commerce maritime n’est plus rentable. Les dangers liés aux pirates et corsaires font que Venise ne parvient plus à recruter des marins. Les patriciens se retirent sur la terre ferme. À partir du XVIème siècle ils se contentent de gérer leurs propriétés agricoles.

Au XVIIème siècle les nobles se désintéressent des affaires publiques laissant les charges à des gens de plus modeste origine.

C’est là fin du commerce, dans un feu d’artifice de fêtes, de frivolités, de théâtre et d’art.