Rome la papauté s'émancipe de l'aristocratie

La papauté s’éloigne de l’aristocratie. Transformation des centres du pouvoir  XIe – XVe

Pendant la première moitié du XIe, les comtes de Tusculum (Toscane) descendant de la famille Théophylacte, gèrent le pouvoir civil et religieux en faisant élire 3 papes : Benoît VIII (1012-1024), Jean XIX (1024-1033) et Benoît IX (1033-1044). 

En 1044 Benoît IX est déposé par l’Empereur. Le pouvoir des comtes de Tusculum décline. De nouvelles classes urbaines apparaissent qui aspirent à une gestion autonome du pouvoir pontifical. Mais elles sont aussi opposées à la mainmise de l’Empereur.

A cette époque la papauté veut réformer l’Eglise sous l’influence de Cluny. Le clergé urbain et la population s’opposent à ces réformes ressenties comme néfastes  à leurs intérêts commerciaux.

La société laïque se différencie de plus en plus du clergé. L’ancienne confusion d’intérêt entre élites laïques et ecclésiastiques disparaît. La cité devient hostile au patriarcat.  La curie et le clergé palatin se séparent du clergé urbain dans le dernier quart du XIe.

 21 tour des milices  Eglise cosme  
Tour des milices 

Pavement 
Eglise Cosme et Damien 

 

 

Sous Grégoire VII (1073-1085), Rome connaît une succession dramatique d’événements guerriers : coups de mains entre factions rivales, saccage et incendies perpétrés par les Normands en 1084. Les nouvelles classes urbaines prennent alors le parti des réformateurs pour abattre l’ancienne domination de l’aristocratie. Les bases de l’autonomie municipale sont jetées. La lutte fait rage entre d’une part la curie et le pape qui cherchent à imposer une gestion théocratique de la ville et la population d’autre part.

C’est également à cette époque que le pape Grégoire VII soutient que l’autorité du pontife, représentant de Dieu sur terre, doit s’imposer à celle des rois et de l’empereur. Le conflit dit « des investitures »  des evêques en est l’illustration partielle.

Au XIe l’aristocratie romaine voit les Crescenzi décliner, la lignée des comtes de Tusculum se fragmenter pour donner, entre autre, naissance au rameau des Colonna, famille vivant toujours sans son palais à Rome. De nouvelles familles aristocratiques émergent : les Frangipane, Corsi, Normani, Tebaldi.

Pendant la première moitié du XIe Rome est déchirée entre factions rivales. Le pape est souvent obligé de se réfugier chez ses partisans. Seuls comptent l’argent pour corrompre et se payer des soldatesques. Dans cette bataille entre ceux qui soutiennent la curie et la réforme et ceux qui défendent l’empereur, le château St Ange, le Théâtre Marcello et l’île Tibérine prennent une importance stratégique considérable car ils défendent les rares lieux de passage entre les deux rives du Tibre. 

Dans la deuxième moitié du XIe les familles se regroupent autour de tours défensives comme ici la Tour des Milices ou le monastère forteresse des Santi Quattro Coronati qui s’élèvent entre le Colisée et le Latran, garantit la sécurité sur le parcours du cortège pontifical lors de la prise de possession du Latran par le nouvel élu. 

A la fin du XIe on continue à produire à Rome de nombreux livres enluminés : bibles, évangéliaires, homéliaires, hagiographies. Des rapports culturels sont noués avec Byzance. Ainsi, en 1076, l’abbé Hildebrand, futur Grégoire VII, commande à Byzance une porte de bronze pour la basilique de St Paul-hors-les-murs. Se développent également des ateliers à structure familiale ou corporative (la famille des marbriers Cosmati qui a donné son nom à un style de mosaïques).

La population augmente. Au cours du XIIe on bâtit plus de 100 nouvelles églises, chapelles et oratoires. Le clergé romain compte plus de 1500 membres. La fracture entre ce dernier, la curie et le clergé palatin, s’accentue. Le Dictatus papae va se traduire par la volonté de transformer la ville chrétienne en ville des papes.

Les zones les plus peuplées sont la cité léonine (Vatican), le Trastevere et le continuum urbanum situé dans la boucle du fleuve. Ces zones dépendent du Tibre pour l’approvisionnement et pour la fourniture de l’énergie par les moulins. Le Tibre devient également un égout à ciel ouvert. Plusieurs débarcadères sont créés pour apporter denrées et pèlerins. Des marchés sont ouverts sous le Capitole, au Campo dei Fiori, à San Angelo.

Ce développement démographique et économique consolide les nouvelles classes des marchands, propriétaires fonciers, exploitants agricoles, artisans, notaires, juristes qui, associés à la plèbe forme une nouvelle force politique, le Peuple. Entre 1143 et 1144 le Peuple restaure le Sénat et la République au sein de laquelle le patriciat exerce le pouvoir exécutif. On restaure également la charge de Préfet. On récupère ainsi la terminologie du passé, symbole du mythe de la Rome antique. Le pouvoir civil est installé à nouveau sur le Capitole. L’autonomie de la gestion de la ville est acquise.

St Pierre devient la cathédrale du monde (orbis), celle du Latran la cathédrale de la ville (urbis). Une nouvelle polarité urbaine apparaît. D’un côté le château St Ange et de l’autre le Capitole. Entre les deux, la partie de la ville la plus habitée.

Politiquement Rome est très proche des cités-Etats du centre et du nord. Mais ici l’aspiration du peuple est combattue par de nombreux adversaires : le pape et la curie ; l’aristocratie urbaine, la féodalité territoriale, les communes environnantes et enfin les empereurs, en ces temps-là Barberousse.

Après de longs conflits entre les romains, l’Empereur et le pape, la commune parvient à un compromis avec Clément III. L’ingérence impériale dans la commune se limite à la nomination du Préfet dont la charge devient avant tout honorifique.

Les Romains reconnaissent la suprématie du pape et lui jurent fidélité. En retour il leur accorde des subsides pour l’entretien des murs et de la ville.

En 1196 une révision constitutionnelle à lieu

Le Sénat et le patriarcat sont remplacés par un sénateur unique. 

Durant le XIIe on assiste à la disparition des comtes de Tusculum même si les Colonna qui en sont issus les remplacent. Les Crescenzi, divisés  en de nombreuses branches, dont les Ottaviani, cherchent à s’enraciner dans les territoires environnants Rome. Une nouvelle aristocratie, basée sur le commerce, se développe : Annibaldi, Orsini, Corsi, Frangipane et Pierleoni. Ces deux dernières familles s’imposent comme les plus puissantes. Les Frangipane sont des militaires et vivent dans des fortifications urbaines s’assimilant à la féodalité territoriales. Les Pierleoni sont des financiers qui cherchent à s’assimiler à la Curie.

Ces nouvelles familles aristocratiques contrôlent un ou plusieurs nœuds stratégiques urbains au moyen de forteresses et d’ensembles fortifiés. Les Frangipane s’installent entre le Palatin et le Colisée dans un camp retranché s’appuyant sur des fortins. Les Pierleoni sont établis entre le théâtre de Marcel et l’île Tibérine.

Dans les environs de Rome, les seigneurs territoriaux renforcent leur contrôle sur  les grandes routes conduisant à leurs domaines.

L’architecture ecclésiastique du XIIe est homogène. Les réalisations des marbriers des familles Cosmati et  Vassalletto se retrouvent partout. Les campaniles, portiques, ambons, cloîtres, chaires épiscopales, colonnettes torses sont une constante de ce style. Tous ces objets sont faits de l’apposition de fragments de marbres polychromes  et de grandes plaques rondes en porphyres, provenant du débitage des colonnes de marbres des édifices romains. Les mosaïques exaltent de plus en plus le rôle irremplaçable de l’Eglise. 

Les milieux construits se densifient. La population atteint les 30'000 personnes. Des hôpitaux et hospices pour les pèlerins s’édifient.

Après la mort de Frédéric II en 1250, les papes cherchent à concrétiser l’idéal Grégorien du primat universel de l’Eglise. Mais la commune conquiert une plus grande autonomie sous l’égide d’un sénateur étranger, Brancaleone, pendant deux courtes périodes (1252-54 et 1257-58). Il met en œuvre une politique favorable aux classes marchandes et artisanales. Il abat ou décapite 140 tours. Mais le pape s’allie aux barons et dans la seconde partie du XIIIe ils s’emparent durablement de la charge de sénateur. 

Le collège des cardinaux voit également son prestige et sa puissance augmenter. Peu nombreux et dominés par les romains issus de l’aristocratie, il dirige de fait l’Eglise pendant les périodes de vacance du siège apostolique.

A cette époque les Pierleoni et les Papareschi disparaissent également. D’autres comme les Savelli s’affirment. Une aristocratie d’une 20aine de familles, parmi lesquelles on retrouve les Colonna, Annibaldi, Albereschi, Orsini, Frangipane, domine la vie de la cité en s’appuyant sur leurs immenses possessions terriennes mais aussi sur leurs liens avec la curie. Ils vivent dans d’immenses ensembles fortifiés surmontés de tours, symboles de leur prestige social.

Ils disposent de véritables armées privées qui assurent leur domination sur des quartiers entiers. Les Orsini parviennent même dans les dernières années du XIIIe à s’emparer du château St Ange qui garde l’entrée du Borgo. Les Colonna transforment le mausolée d’Auguste en forteresse. Les Frangipane, bien qu’en perte de vitesse, ont étendu leur domaine fortifié entre le Cirque Maximus et le Colisée, contrôlant ainsi la voie d’accès au Latran. Les Conti possèdent la Tour des milices, encore visible aujourd’hui. 

Mais ces familles se battent entre elles et ces forteresses passent de l’une à l’autre.

Les papes de leur côté tentent d’établir leur résidence au Vatican protégé par les murailles léonines. Boniface VIII, un Caetani, va instituer le jubilé en 1300, apport d’immenses richesses à l’Eglise mais aussi à la ville. Avec cet argent les papes vont stimuler les constructions et l’embellissement de la ville. Les aristocrates vont dans le même sens.  

C’est l’époque par excellence des marbriers. Bas relief, lions, sphynx, ambons chaires pontificales fleurissent dans toutes les églises. A cela s’ajoute les mosaïques et les colonnettes torses qui deviennent une signature romaine. 

Les œuvres des marbriers sont également présentes dans l’art civil comme les tombes individuelles ou familiales, symboles du prestige de la lignée. Par la suite elles seront édifiées dans les églises sous forme de chapelles.

Les mosaïques de Iacopo Torriti et de Giovanni di Cosma fleurissent partout encore bien influencées par l’art byzantin. Elles ont pour but d’exalter la puissance de l’Eglise et de rappeler l’origine de son pouvoir (donation de constantin).

Des œuvres en or et argent repoussé sont réalisées. Elles ont été en grande partie volées durant les sacs de Rome de 1527 ou l’occupation française de 1798.

Rome, à cette époque, n’a pas d’Université mais la Curie dispose d’un Studium qui dispense un enseignement juridique  civil et ecclésiastique. Elle produit une vaste littérature même en langue vulgaire, pour les pèlerins.

Mais un conflit entre les Caetani mené par leur parent, le pape Boniface VIII et les Colonna qui vont chercher l’appui du roi de France, va aboutir au départ de la papauté à Avignon en 1304. Durant cette période la vie artistique est nettement freinée, la ville se dépeuple à nouveau, dépeuplement aggravé par l’apparition de la peste. Les basiliques sont laissées à l’abandon et se dégradent.

Le pouvoir communal reprend de l’autonomie avec le passage de Cola di Rienzo. Des changements économiques se produisent. Rome tente d’élargir sa juridiction territoriale. Elle se retrouve alors en conflit avec les villes environnantes comme Tivoli. De nouveaux riches accèdent à l’aisance. Ce sont des éleveurs ou riches fermiers. Malgré cela ce sont toujours les aristocrates qui dominent en réalité la ville.

Une nouvelle année sainte est proclamée en 1350. Elle donne un souffle économique temporaire mais insuffisant. En 1377 le pape Grégoire XI retourne à Rome. Mais peu après le Grand schisme d’Occident éclate (1378-1417) et pendant une 40 aine d’années deux ou trois papes prétendront en même temps au siège pontifical. Les luttes entre clans rivaux s’exacerbent.

C’est durant cette période, en 1390, que le pape présent à Rome. Boniface IX Tomacelli, entreprend de grands travaux de remise en état des rues et prononce un nouveau jubilé qu’il va répéter pendant une dizaine d’années, relançant ainsi l’économie de la ville. En 1398 il rétablit la seigneurie pontificale sur Rome et fortifie le Château St Ange en y installant de nouveaux canons qui menacent la ville. Il fortifie également le palais sénatorial sur le Capitole en y faisant construire une tour imposante. La zone habitée est ainsi prise entre deux feux.

Après la mort de Boniface la ville connaît une dizaine d’années de troubles mais la puissance des papes ne pourra plus être remise en question.

En 1420 le retour à Rome du pape Martin V Colonna  marque le début de la dernière période de la ville chrétienne et la naissance de la ville des papes.

Télécharger version complète tirée de la Louve à la Tiare de Pierre B.pages 1à 21